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Lucie Moulet

Autisme — Terminologie et historique (1)

Dernière mise à jour : 19 janv. 2023

Note : Cet article est le premier d’une série de 6 sur l’autisme




Les multiples termes

Les autismes, j’ai lu dans un article sur le web cette expression « les autismes » et elle m’a tout de suite plu, car effectivement, on peut voir le spectre autistique comme l’existence de plusieurs autismes. De plus, chaque autiste l’est à sa façon, les manifestations sont personnelles et peuvent être différentes entre les personnes. Et encore plus lorsqu’il y a d’autres particularités associées (comme le TDAH, des DYS…). On dit qu'il y a autant d'autismes que de personnes autistes.


Mais plus souvent, on entend parler de trouble du spectre autistique (TSA), trouble du spectre de l’autisme, autisme (tout court), syndrome Asperger, TED non spécifié (trouble envahissant du développement), autisme de Kanner… Il coexiste des « anciens » termes et des « nouveaux ». Termes utilisés, entre autres, dans le DSM (versions 4 et 5) qui est la référence américaine des troubles mentaux. DSM pour Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, qui en est à sa 5e édition. Ce manuel est publié par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA). Il existe aussi la CIM (classification internationale des maladies) créée par l’OMS et qui en est à sa 11e édition. Les autismes ne sont pas définis tout à fait de la même manière dans ces deux classifications (mais de façon tout de même très semblable). Mais pour faciliter la compréhension, j’ai choisi de parler dans cet article du DSM.


La classification des autismes entre le DSM-IV et le DSM-5 a beaucoup changé, d’où l’apparition de « nouveaux » termes et la coexistence de plusieurs. Ils ne veulent pas dire tout à fait la même chose. Karine Morasse (sans date) explique très bien cela dans son article sur l’autisme sur le site web de l’association québécoise des neuropsychologues (AQNP). Dans le DSM-5, les autismes sont regroupés sous l’appellation « Trouble du spectre autistique » (ou TSA) alors qu’on parlait dans le DSM-IV de TED pour « troubles envahissants du développement ». Le TSA est, de plus, classé dans le DSM-5 dans la grande catégorie des troubles neurodéveloppementaux (ainsi que les handicaps intellectuels, les troubles de la communication, le TDAH, les troubles spécifiques des apprentissages et les troubles moteurs — Poirier et Leroux-Boudreault, 2020). La figure suivante montre les différences de classification entre les versions 4 et 5 du DSM.

Comparaison DSM-IV et DSM-5

Tiré de Morasse (sans date)


Les critères diagnostiques du TSA dans le DSM-5 sont :

  • Déficits persistants dans la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés

  • Caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités


La figure suivante précise ces 2 critères.

Les critères diagnostiques

Tiré de Piat et Lacroix (2018)


Trois autres critères diagnostiques existent :

  • Les symptômes doivent être présents dès les étapes précoces du développement

  • Les symptômes occasionnent un retentissement cliniquement significatif en termes de fonctionnement actuel social, scolaire/professionnel ou dans d’autres domaines importants.

  • Ces troubles ne sont pas mieux expliqués par un handicap intellectuel (trouble du développement intellectuel) ou un retard global du développement.


Il faut que l’ensemble des critères soient présents pour qu’un diagnostic soit posé. Lorsqu’un professionnel fait une évaluation et pose un diagnostic de TSA, il doit aussi préciser le niveau de soutien pour chacun des deux premiers critères diagnostiques. Il y a 3 niveaux, le niveau 1 correspond au plus faible besoin de soutien et le niveau 3 au plus fort (Poirier et Leroux-Boudreault, 2020). Par exemple, le syndrome Asperger et l’autisme de haut niveau correspondent à un TSA niveau 1 dans le DSM-5. Notons que syndrome d’Asperger et autisme de haut niveau ne sont pas tout à fait semblables, l’un n’égale pas l’autre. Avec le DSM-5, les différences entre ces 2 diagnostics ne sont plus visibles puisque les 2 entrent maintenant sous l’appellation TSA niveau 1. L’autisme de Kanner, quant à lui, correspond à un TSA niveau 3. J’en profite ici pour rappeler l’importance de consulter un professionnel habilité à faire ce type de diagnostic. Lorsqu’on suspecte une condition autistique associée à d’autres conditions (TDAH, trouble d’apprentissage, douance…), il est encore plus important de consulter un professionnel apte à évaluer et identifier les différents aspects du profil.


Il me semble que pour le commun des mortels, les critères diagnostiques ne sont pas très parlants… Que veut dire « caractère restreint et répétitif », « déficits persistants dans la communication » ? La première fois que j’ai lu cela, aucun exemple ne m’est venu en tête, aucune petite ampoule ne s’est allumée dans ma tête. Où se trouve la frontière entre des difficultés et ce qui pourrait être considéré comme un « trouble » ou comme entrant dans les critères diagnostiques ? Nous détaillerons et expliquerons les caractéristiques du TSA dans les quatrième et cinquième articles sur le sujet.


Il est important de noter que malgré un manque d’uniformité dans les termes utilisés, il est important qu’il y ait consensus sur les critères diagnostiques, afin de pouvoir faire des études épidémiologiques (étude des problèmes de santé, leur fréquence, leur distribution dans le temps et dans l’espace, les facteurs de risque…). Et dans l’ensemble, selon des Rivières-Pigeon (2019), ceux du DSM-5 sont très largement utilisés et le consensus entourant leur utilisation est très important. Bonne nouvelle pour les recherches !


Petit historique

Pour Alexandra Reynaud (2017, p.12), l’histoire du syndrome Asperger est celle « d’un trouble qui n’a pas eu de chance ». En effet, sa première description date de la Seconde Guerre mondiale, mais sa reconnaissance seulement de 1993. Alors, que s’est-il passé et qu’en est-il pour l’autisme ?


Kanner et Asperger proposent deux visions de l’autisme qui s’opposent (Gourion et Leduc, 2018). Celle de Kanner, classique, considère le repli intérieur de ces enfants comme une réaction psychologique due à l’incapacité de la mère à leur donner de l’affection (ouch… même si on sait aujourd’hui que cela est totalement faux, cette vision que l’autisme serait une pathologie psychiatrique ou mentale ou même une psychose, perdure, bien malheureusement, encore un peu trop en France… subissant le joug de la psychanalyse — Reynaud, 2017). Alors que la vision d’Asperger considère que les causes sont cérébrales et qu’avec une pédagogie adaptée, ces enfants peuvent brillamment réussir leurs études.


Pour commencer, le terme « autisme », du grec autos, signifiant « soi-même », a été utilisé la première fois en 1911 par le psychiatre suisse Eugen Bleuler pour désigner des manifestations de la schizophrénie. Léo Kanner, pédopsychiatre américain d’origine austro-hongroise, reprend le terme en 1943 pour décrire autre chose : deux signes qu’il a observés chez 11 enfants, l’isolement extrême et le désir obsédant de préserver l’immuabilité (Gourion et Leduc, 2018). On parle en 1944 d’« autisme infantile précoce », qui deviendra « autisme de Kanner » ou « autisme sévère ».


En parallèle et à des milliers de kilomètres, un autre médecin autrichien publie ses travaux sur ce qu’il appelle aussi « autisme ». C’est Hans Asperger, pédiatre qui publie sa thèse sur les particularités de plus de 200 individus (Reynaud, 2017). Au contraire des travaux de Kanner qui sont rapidement considérés comme la référence sur l’autisme, ceux d’Asperger restent méconnus environ 40 ans. C’est Lorna Wing, psychiatre britannique, qui exhume ces travaux en 1981, en y accolant les mots « syndrome d’Asperger ». Elle propose alors une définition de l’autisme basée sur une triade, soit un ensemble de 3 sphères affectées : la communication, l’interaction et les comportements stéréotypés et les intérêts restreints (Harrisson et al., 2017). Ce n’est que 10 ans plus tard que les travaux de Hans Asperger sont finalement traduits en anglais, soit en 1991, puis en français en 1998. Et ce n’est finalement qu’en 1993 que le syndrome d’Asperger sera reconnu par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en entrant dans sa classification CIM-10. Son entrée suivra dans le DSM-IV en 1994 (Reynaud, 2017). C’est somme toute très récent dans l’histoire médicale et de la recherche. Depuis les 20 dernières années, des professionnels ainsi que des adultes Asperger s’intéressent au sujet et de plus en plus d’articles et de livres apparaissent (Hénault et Martin, 2021).


Pour la petite anecdote, Alexandra Reynaud (2017) raconte que bien que Kanner ait toujours assuré ne pas avoir entendu parler des travaux d’Asperger, le journaliste et auteur américain Steve Silberman a trouvé un lien entre les deux hommes. C’est le Dr George Frankl. Il était le diagnosticien en chef du Dr Asperger à Vienne lorsqu’il a fui le régime nazi. Il est parti travailler à Baltimore pour le Dr Kanner… Cette utilisation en parallèle du terme « autisme » n’est peut-être donc pas une simple coïncidence.


Autre information importante à connaître : au printemps 2018, la presse grand public apprend au monde que Hans Asperger a coopéré activement avec le IIIe Reich… Il a notamment coopéré avec le programme nazi d’euthanasie d’enfants (« c’est-à-dire de meurtre » comme le soulignent Gourion et Leduc (2018)). Cette nouvelle révoltante a suscité un débat entre les personnes autistes, leurs familles, les chercheurs et les cliniciens au sujet du changement de nom du syndrome d’Asperger (Psychomédia, 2018). Simon Baron-Cohen, psychologue spécialiste de l’autisme de l’université Cambridge dira « Personnellement, je ne me sens plus à l’aise de nommer cette condition en référence à Hans Asperger. »


Pour en savoir plus sur l’autisme, voir mes autres articles à ce sujet.


Références


des Rivières-Pigeon, C. (2019). Autisme. Ces réalités sociales dont il faut parler. Éditions du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.


Gourion, D., & Leduc, S. (2018). Éloge des intelligences atypiques : Pas comme les autres, plus que les autres ! Odile Jacob.


Harrisson, B., St-Charles, L., & Thúy, K. (2017). L’autisme expliqué aux non-autistes. Éditions du Trécarré.


Hénault, I., & Martin, A. (2021). Le profil Asperger au féminin. Chenelière éducation.


Morasse, K. (sans date). Spectre autistique. Autisme, Asperger, TED, TSA : comment s’y retrouver. Récupéré à https://aqnp.ca/documentation/developpemental/le-spectre-autistique/.


Piat, J.-P., & Lacroix, A. (2018). L’autisme à l’épreuve des spécificités liées au genre. Aspieconseil. https://aspieconseil.com/2018/02/18/autisme-genre/


Poirier, N., & Leroux-Boudreault, A. (2020). 10 questions sur… Le trouble du spectre de l’autisme chez l’enfant et l’adolescent. Midi trente éditions.


Psychomédia. (2018). Suite aux révélations sur le Dr Asperger, un débat sur un changement de nom du syndrome. http://www.psychomedia.qc.ca/autisme/2018-05-09/syndrome-d-asperger-changement-de-nom


Reynaud, A. (2017). Asperger et fière de l’être. Voyage au cœur d’un autisme pas comme les autres. Eyrolles.


Mise à jour du 22 novembre 2022: Ajout de la table des matières cliquable et du lien Article suivant à la fin de l'article.


Mise à jour du 19 janvier 2023: Ajustement du nombre total d’articles dans la série et ajout du lien vers l’article 4

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